Statistik

Les statistiques doivent fournir des informations, et non confirmer des opinions

Lorsque les hommes politiques réclament des statistiques, la prudence est de mise. De fait, la plupart du temps, ils ont en effet une idée précise de ce que le résultat peut donner ou pas.

Extrait du commentaire d’un invité dans la NZZ :

« Celui qui croit connaître à l'avance le résultat d'une statistique qui n'existe pas encore, ne s'oriente pas sur des données objectives, mais sur son opinion politique subjective. L'exigence de ’créer des faits’ n'est qu'un prétexte. Le véritable objectif semble être de se procurer davantage de munitions dans la lutte pour la souveraineté d'interprétation politique.

Ceux qui sont convaincus que les étrangers ou les hommes sont le problème insisteront principalement sur la nationalité ou le sexe, et ignoreront d'autres caractéristiques, même si celles-ci peuvent avoir une plus grande valeur explicative d'un point de vue scientifique. »

Le jour même où le peuple suisse avait décidé de mieux protéger les homosexuels contre la discrimination, plusieurs hommes gays ont été chahutés, agressés physiquement et blessés au couteau par des jeunes à Zurich. Il ne s'agissait pas d'un cas isolé, mais il manque une base de données fiable sur la fréquence de ces agressions et sur les motifs et les caractéristiques des auteurs.

Il est compréhensible que cela fasse réagir les politiques. Enregistrer statistiquement ce que l'on appelle les « crimes de haine » est nécessaire. La demande est légitime : pour pouvoir décider comment un problème doit être traité politiquement, et si on le traite, il faut disposer d'informations fiables sur la gravité de ce problème et sur ses causes possibles. Mais de nombreux commentateurs politiques semblent déjà savoir ce que montreront les statistiques demandées. Pour les uns, les crimes de haine sont principalement le fait d'étrangers, pour les autres, ils sont sans aucun doute la conséquence d'une politique de droite. D'autres encore expliquent cela par le manque d'éducation ou d’autres arguments. La violence serait un problème typiquement masculin, par exemple.

Tout cela peut être vrai ou non. Et c'est précisément là que réside le problème. Celui qui croit connaître à l'avance le résultat d’une statistique qui n'existe pas encore ne s'oriente pas sur des données objectives, mais sur son opinion politique subjective. L'exigence de « créer des faits » ne semble donc être qu'un prétexte. Le véritable objectif semble être de se procurer davantage de munitions dans la lutte pour la souveraineté d'interprétation politique. Ceux qui sont convaincus que les étrangers ou les hommes sont le problème insisteront principalement sur l'enregistrement de la nationalité ou du sexe et ignoreront d'autres caractéristiques, même si celles-ci auraient une plus grande valeur explicative d'un point de vue scientifique.

La politique devrait définir des objectifs plutôt que d'affirmer des causes.

Les critères purement politiques de sélection (ou de non-sélection) des caractéristiques statistiques à collecter doivent donc être rejetés, car ils définissent d'emblée ce qui doit être considéré comme pertinent (ou non pertinent). Cela ne s'applique pas seulement à l'enregistrement des crimes de haine, mais de manière générale aux collectes de données statistiques. Il est vrai que l'on ne peut pas se passer totalement de l'influence de la politique. Tant que des limites financières et temporelles sont imposées à l'État, la politique doit décider à quoi elle souhaite consacrer ses ressources limitées. Pour ce faire, il faut constamment trouver un équilibre entre pertinence scientifique, actualité sociopolitique et faisabilité.

Le problème à résoudre doit toujours être placé au premier plan de la réflexion. Dans le débat sur les crimes de haine, certains acteurs politiques semblent davantage intéressés par se disputer sur les causes présumées plutôt que se mettre d'accord sur le gain potentiel d’informations qui est visé. S'agit-il seulement de connaître la fréquence de tels crimes ? Dans ce cas, il devient inutile d’ajouter des caractéristiques, à l’instar du sexe ou de la nationalité des auteurs, en plus de l'acte lui-même. Ou est-ce la définition des causes possibles qui est au premier plan ? Auquel cas, relever le sexe et la nationalité ne suffira probablement pas, et induira peut-être même en erreur.

La politique doit donc se contenter de répondre à des problèmes concrets qu'il s'agit de comprendre par une enquête statistique. Quant aux autres mesures, notamment le choix des caractéristiques qui doivent faire l'objet de statistiques ou non, il doit revenir pleinement à ceux qui disposent de l'expertise technique nécessaire pour le faire.

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Servan Grüninger est cofondateur et président de Reatch. Il a commencé ses études par les sciences politiques et le droit et a obtenu un diplôme en biostatistique et en informatique. Il prépare actuellement un doctorat en biostatistique à l'Institut de mathématiques de l'Université de Zurich. Plus d'informations: www.servangrueninger.ch.

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